sábado, 6 de junio de 2015

Charles Baudelaire: Enivrez-vous

Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise, mais enivrez-vous!
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise.


EMBORRACHAOS

Hay que estar siempre borracho, es la única cuestión. Para no sentir el horrible fardo del tiempo que rompe vuestra espalda y os doblega hacia la tierra, debéis emborracharos sin tregua.
Pero ¿de qué? De vino, de poesía, o de virtud, como queráis, ¡pero emborrachaos!
Y si, alguna vez, sobre los escalones de un palacio, sobre la verde hierba de un foso, os despertáis, la borrachera atenuada o desaparecida, preguntad al viento, a la ola, a la estrella, al pájaro, al reloj; a todo lo que huye, a todo lo que gime, a todo lo que rueda, a todo lo que canta, a todo lo que habla, preguntad qué hora es. Y el viento, la ola, la estrella, el pájaro, el reloj, os responderán, es hora de emborracharse; para no ser los esclavos martirizados del tiempo, emborrachaos, emborrachaos sin cesar de vino, de poesía, de virtud, como queráis
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